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"Nous sommes en présence d’une identité manifeste (...)"

PIERRE FALARDEAU (1946-2009) - "Lève la tête mon frère !"

vendredi 2 octobre 2009

Falardeau, tu vas nous manquer !

par Simon Beaudry

"Moi je me sens du côté de l’humanité qui se bat pour la liberté et la justice partout sur la planète. Si on perd ici, notre combat va quand même servir ailleurs et il y aura des peuples opprimés victorieux. Il n’est donc pas question que je cesse de me battre."

— Pierre Falardeau

La mort de Falardeau a cela de tragique qu’elle annonce l’éventuelle disparition des militants de la première heure, celle des indépendantistes baby-boomers encore actifs. Falardeau n’aura pas pris pour acquis les gains temporaires de la Révolution tranquille, cette Révolution entravée par le confort des uns, l’indifférence des autres ou par tant de bouffonneries.

La chute inéluctable des prochains piliers du mouvement fera tout aussi mal que celle de Falardeau. Leur sagesse nous fera défaut. Ils seront durs à remplacer par la génération qui les suit ou la mienne qui vient et qui s’éveille.

Mais, tant qu’il restera de la braise et des tisons dans le foyer, il existera toujours l’espoir d’accomplir le projet d’indépendance des Québécois.

La vie de Falardeau a eu cela de magique qu’elle a touché et enflammé des gens de tous âges, des jeunes, beaucoup de jeunes en fait, j’en suis et j’en connais une trâlée, pour qui le Québec est le plus beau et le plus grand des projets de développement durable. La mort de Falardeau a cela de magique. La lutte qu’il menait à sa façon et que nous continuons de mener pour l’émancipation de la civilisation québécoise n’est pas terminée. Il reste beaucoup à faire. Toutes les mains et toutes les têtes sont appelées à édifier notre pays, peu importe le poids et la qualité des outils de notre apport. Voilà une des premières idées que je retiens de Falardeau. Chaque petit geste nous fait avancer.

Ça ne faisait pas longtemps que nous nous connaissions. J’avais imprimé des autocollants avec comme visuel un lys blanc sur fond bleu. Je les collais sur les boîtes aux lettres de "Postes Cadenas". Je lui en avais envoyé quelques-uns, tout fier de cet acte, mais en même temps, gêné par le ridicule de sa réelle portée. Il m’avait répondu : " C’est bien tes p’tits collants (rires). En tout cas, j’sais pas si j’ai raison, mais chaque geste est important, même aussi petit que ça."

C’est Falardeau qui est venu me chercher et qui m’a accroché. Comme point de départ, je venais d’écrire un texte qui tentait un parallèle entre l’indépendance du Québec et la santé de l’industrie publicitaire québécoise. Le journaliste Stéphane Baillargeon en avait fait allusion dans le Devoir. À la fin de cet article, je demandais où étaient les penseurs québécois. Le lendemain matin, Falardeau m’appelait. Voici le premier contact que j’ai eu avec lui :

"La publicité c’est d’la marde. Les publicitaires, vous faites toute d’la marde. Mais toé, t’as d’l’air moins épais qu’les autres, on dirait qu’tu penses."

Il voulait lire le texte que j’avais écrit, mais voulait que je lui envoie par la poste, n’étant pas sur le web. "J’ai pas Internet, mais ça me fait rien de maller des lettres, ça me permet de penser quand je marche." On est allé manger ensemble et cette rencontre initia une série d’entretiens qui ont marqué ma vie, enrichie ma culture personnelle, affirmée mon nationalisme et qui ont surtout fait germer en moi les assises du collectif Identité québécoise, cofondé avec l’auteur Philippe Jean Poirier, en janvier 2007. D’ailleurs, Falardeau a été le premier conférencier que nous avons invité.

En 2006 j’ai fait une entrevue avec lui dans un numéro d’Urbania sur le thème des ethnies. Le titre de cette entrevue : L’ethnie québécoise. Elle est présentement diffusée sur urbania.ca pour souligner Falardeau. Un passage de cette entrevue résume bien le personnage coloré et son aspiration :

"Est-ce que la place du Québec dans la délégation canadienne à l’UNESCO est un pas vers la reconnaissance de la nation québécoise ?

— Fait moé pas chier avec tes questions niaiseuses. Je rêve que le Québec soit un pays normal avec une voix partout sur la Terre, pas un strapontin à l’UNESCO. Contentez-vous pas de d’ça, câlisse !"

Lors d’un entretien téléphonique dans un autre contexte, il m’a phrasé la même idée d’une autre façon : "C’est sûr qu’à genoux sur un strapontin, ça va mieux pour se faire enculer !"

C’était du Falardeau tout craché. À un moment donné, on va s’en ennuyer de ce genre de réponse.

Mais ce que je retiens de fondamental de nos rencontres, c’est qu’en peu de temps il m’a fait découvrir le cinéma direct québécois, Gilles Groulx, Pierre Perreault, Michel Brault, un cinéma qui l’a profondément marqué et dont il ne s’est jamais remis, disait-il. Il m’a aussi fait connaître l’histoire de Pierre Lemoyne D’Iberville, le conquérant, un des plus grands Québécois de notre histoire, un "esti d’malade", comme il disait aussi. Il m’a fait connaître Guy Frégault et il m’a expliqué le FLQ et les Patriotes, morceaux fondamentaux de notre mémoire collective. Il m’a fait connaître les écrits d’Albert Memmi et Frantz Fanon sur la colonisation, la musique de Mikis Théodorakis, le cinéma de Masaki Kobayashi qui, selon Pierre, a produit la plus grande oeuvre cinématographique : La condition humaine. Il m’a aussi fait réaliser que notre lutte pour la liberté du Québec est aussi une lutte pour la liberté de tous les peuples. Que nous sommes tous unis.

Voici un dernier passage de notre entrevue où je lui demandais s’il avait un message qu’il voulait adresser aux Québécois.

" Quand je suis allé en Algérie après l’indépendance, Ben Bella avait réuni dans le stade d’Alger tous les cireurs de chaussures. Il y avait un grand feu et ils brûlaient leurs boîtes à cirage. Le titre de son discours était : "Lève la tête mon frère !" C’est ce que j’aimerais dire aux Québécois. Aux immigrants, j’aimerais dire : " Bienvenue chez nous, je vous tends la main, ne la refusez pas !".

Falardeau, tu vas nous manquer !

Vive la liberté ! Vive l’indépendance !

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