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"Nous sommes en présence d’une identité manifeste (...)"

Défense et illustration du « patriote-citoyen »

mercredi 12 mai 2010

Texte publié dans le Devoir

Par Simon Beaudry et Philippe Jean Poirier

La fête des Patriotes est une occasion de rappeler qu’au-delà du soulèvement armé de 1837-1838, le « Patriote » en tant qu’icône populaire est un élément identitaire propre au Québec.

L’histoire récente de ce symbole lui confère d’emblée une charge idéologique : symbole radical de la lutte des classes dans les années 1970 (Front de Libération du Québec), le Patriote d’Henri Julien fut ensuite confiné à la stricte quête du pays québécois. Mais est-ce bien là le sens historique qu’avait cette illustration au départ ? Et est-ce encore le sens que nous voulons lui donner ?

Le collectif Identité Québécoise a voulu réactualiser le Patriote à la lumière de ce qu’il fut (selon nous) et de ce qu’il pourrait être encore aujourd’hui : un citoyen engagé par-devers les siens, dans le but de préserver le mieux-être de la patrie-collectivité.

Le Vieux de ‘37

L’artiste-peintre Henri Julien (1852-1908) illustre son Patriote en 1904 dans le cadre d’un travail sur la Rébellion de 1837-1838. Visuellement, le Vieux de ‘37 porte les signes distinctifs du Canadien (Français) de l’époque : la tuque, la pipe, la ceinture fléchée et les mocassins.

Bien qu’il empoigne une arme, rien ne laisse supposer que l’homme est engagé dans une action agressive. Il avance d’un pas prudent, mais résolu. C’est un citoyen « ordinaire » qui se porte à la défense de… de quoi au juste ? De ses biens ? De quelqu’un ? D’une idée ?

À la lumière des événements de 1837-1838, nous comprenons que l’homme se porte à la défense d’une autonomie politique revendiquée par les élus de la Chambre d’Assemblée (composée majoritairement de Canadiens-Français), sans pouvoir réel devant les membres non-élus du Conseil Exécutif (composé de l’élite bourgeoise britannique). Ce citoyen, Henri Julien le campe dans la posture et dans l’allure du milicien, c’est-à-dire d’un habitant qui se fait momentanément soldat.

Le milicien « canadien » de 1690

Le Patriote de Julien aurait un ancêtre — du moins un ancêtre graphique. Il s’agit du « Canadien allant à la guerre », une illustration que Bacqueville de la Potherie exécute vers 1690 pour son Histoire de l’Amérique septentrionale.

Du temps de la Nouvelle-France, l’habitant devait être en mesure de se faire milicien à tout moment, afin de se défendre ou de mener des actions contre les ennemis d’alors qu’étaient les Iroquois et les Anglais.

Le milicien « canadien » se bat le plus souvent aux côtés d’Amérindiens alliés. Sa tenue en porte la marque : il couvre ses jambes de mitasses, chausse des mocassins et marche en raquettes — trois emprunts aux autochtones. Lorsqu’il livre combat, il le fait souvent à l’amérindienne, c’est-à-dire qu’il privilégie les actions de guérilla à la bataille rangée.

Il ne faut pas s’étonner de la parenté graphique du Patriote de Julien et du « Canadien » de la Potherie (fusil, pipe, mocassins). Bien que leur souche soit française, le « Canadien allant en guerre » de 1690 et le « Vieux de ‘37 » sont d’abord et avant tout « canadiens », c’est-à-dire qu’ils appartiennent au peuple qui naît non pas en France mais bien « en Canada », sur les rives du Saint-Laurent, dans un contexte de contacts étroits avec les autochtones.

Le Patriote de 2008

Après avoir trouvé au Patriote un ancêtre milicien, nous nous sommes demandés qui pourrait être son descendant contemporain. Le collectif Identité québécoise a d’abord inscrit sa réflexion dans une continuité graphique. Ainsi le concepteur Simon Beaudry a retenu trois éléments visuels essentiels à la reconnaissance de l’icône : la tuque, la ceinture fléchée, la posture.

Incidemment, ces éléments renvoient à des traits de l’identité québécoise : la langue française et l’adaptation à l’hiver sont évoquées par la tuque (qui serait la version laurentienne du bonnet des marins français) ; l’influence amérindienne, évoquée par les motifs d’inspiration autochtone de la ceinture fléchée ; le désir de durer, évoqué par la posture déterminée et proactive du Patriote.

Quant au fusil, il n’est plus l’arme du « Patriote-citoyen » qui se porte à la défense de sa patrie-collectivité. Aussi est-on amené à l’écarter pour le remplacer par les outils militants du citoyen contemporain.

Notre Patriote-citoyen a le choix des armes. L’écologiste porte un arbre, l’alterjournaliste un crayon, le cinéaste une caméra, etc. De ce fait, l’icône du Patriote permet de véhiculer une pluralité de messages en lien avec « l’engagement citoyen » — forme privilégiée de l’engagement patriotique contemporain.

Il y a davantage.

En cette ère de mondialisation, le territoire qu’il nous importe d’explorer est autant physique que culturel. Notre Patriote est plus que jamais engagé dans la défense et l’épanouissement de son identité culturelle. C’est le combat d’un jeune Québécois, d’une jeune Québécoise qui, en s’ancrant dans son époque, agit pour édifier sa nation. Ce « combat » concerne tous les champs de l’activité humaine, ainsi que tous les niveaux de hiérarchie de l’organisation sociale.

Ce n’est donc pas un hasard si l’idée du Patriote-citoyen* fut retenue comme icône publicitaire pour la série-documentaire Manifestes en série du cinéaste Hugo Latulippe. Les intervenants de la série sont autant de Patriotes-citoyens conviés à contruire un « projet de société en huit chapitres ».

À titre d’exemple, il y a ce fascinant fromager qui décide envers et contre tous de fonder sa fromagerie, dans le but de produire un fromage issu du territoire. Pour ce Patriote-citoyen, l’« arme » est un fromage, inspiré du pays, enrichissant notre assiette.

Citoyens et citoyennes, bonne fête des Patriotes !

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